De la gestion des compétences au management des talents

De la gestion des compétences au management des talents

Nous assistons depuis une dizaine d’années à un engouement pour le management des talents, à tel point que certains experts en management préconisent de remplacer la gestion des ressources humaines par le « talentship ». Pourquoi pas ? Mais qu’entend-on par talent ? En quoi ce concept se différencie-t-il de la gestion par les compétences ? Quelle est sa valeur ajoutée ? Quelles sont les incidences pour l’entreprise ?

Le talent, parlons-en

S’il n’existe pas à ce jour de formulation communément admise pour décrire ce terme, tournons nous vers sa définition. Assimilé à un « don », une « faculté », le talent, du latin talentum, désigne une « capacité particulière, une habileté naturelle ou acquise, pour réussir en société ou dans une activité donnée« .

Apparu dans les années 2000 dans un contexte de risque de pénurie de main d’œuvre et d’hypercompétition, le management des talents est né dans le but d’investir sur l’excellence d’un petit nombre de personnes-clés, les « hauts potentiels ». Les entreprises se sont donc engagées sur le chemin du « talent management » en vue d’attirer les rares personnes détentrices de ce précieux « capital ».

Dans ce cadre, le talent serait « une compétence spéciale qui n’apparaîtrait pas dans le référentiel habituel des compétences« . Mais alors, qu’est-ce qui différencie une compétence d’un talent ?

Le talent, qu’est-ce que c’est ?

Différent de la compétence, qui est avant tout d’ordre cognitif (savoir), le talent est une capacité naturelle, facile à mobiliser, qui procure du plaisir et qui mène très souvent au succès.

S’il est aisé d’apprendre à animer des réunions (logique compétence) il est parfois plus ardu d’acquérir des aptitudes de « visionnaire », « d’esthétisme », « d’originalité », « d’empathie », de « débrouillardise », ou encore de « persuasion » (logique talent), surtout si nous n’avons pas vraiment envie.

Si la compétence est un savoir-faire, le talent est un « aimer-faire ». Manager les talents permet de concilier, en agissant sur un seul levier, les besoins de l’entreprise (performance) et du salarié (épanouissement personnel).

Qui a du talent ?

Initialement considéré comme unique et rare, il semble à présent admis que chaque personne possède naturellement un ou plusieurs talents. Certains ont su les identifier et les valoriser, d’autres non.

L’entreprise qui saura détecter les talents ou « points forts » de chaque collaborateur disposera d’une « ressource naturelle » sur laquelle elle pourra s’appuyer pour générer de « l’intelligence collective » afin de gagner en souplesse et créer durablement de la valeur.

Manager les talents, pour quoi faire ?

Si la compétence et le talent sont tous deux des capacités, ils ne sont pas exploitables dans le même but, ni de la même manière. Manager par les talents suppose de changer quelques paradigmes. Voici ce que le management des talents permet de faire :

Rendre chacun responsable de sa performance

Les modes de management que nous connaissons reposent sur les principes de subordination et de conformité. L’entreprise définit ce qui doit être fait et comment le faire, recherche le salarié qui répond aux critères et lui demande d’appliquer ses prescriptions. Elle crée ainsi un rapport Parent/Enfant.

Manager par le respect des normes comporte des avantages (l’entreprise maîtrise la production), mais crée également des inconvénients : déresponsabilisation et infantilisation.

Le management par les talents diffère dans la mesure où l’entreprise négocie avec le salarié les résultats à atteindre et lui laisse le degré d’autonomie dont il a besoin pour valoriser ses points forts. A ce titre, elle crée un rapport Adulte/Adulte, générant ainsi plus de confiance et de responsabilité.

Cas d’entreprise : Chez Morning Star, une entreprise américaine de transformation de tomates de 400 salariés, les rôles ne sont pas définis par la direction. Affecté à une « entité stratégique », chacun peut assumer les responsabilités qu’il veut. Selon Paul Green « Chacun doit faire ce qu’il sait bien faire. Nous n’essayons donc pas d’adapter les personnes à un poste donné« . Bénéfice de cette approche : « les collègues » (c’est ainsi que sont appelés les collaborateurs) ont en général des responsabilités plus étendues et s’engagent dans des niveaux de complexité plus importants que dans la plupart des entreprises. Ils peuvent ainsi renforcer leurs points forts pour le plus grand bien de l’entreprise.

Nouveau paradigme : Laisser les salariés se concentrer sur leurs points forts

Renforcer le plaisir au travail

Le management par les compétences suppose que « pour réussir, il faut savoir tout faire et améliorer ses points faibles« . A ce titre, les entreprises évaluent le niveau de maîtrise des compétences d’une personne sur la base de référentiels et investissent sur des actions de développement (formation, coaching…) afin d’arriver au niveau de conformité désiré par l’entreprise (parfois sans s’assurer du désir profond d’apprentissage du salarié).

Différente, l’approche par les talents repose sur le principe selon lequel il est rare qu’une personne sache tout faire et que « pour réussir, il faut avant tout investir sur ses points forts« , les points faibles devant être compensés par ailleurs (par exemple, en réorganisant partiellement les activités selon les talents de chaque membre de l’équipe).

Ainsi, au lieu de former Roger à l’affirmation de soi pour qu’il apprenne à imposer ses décisions (approche compétence), il serait plus pertinent de valoriser sa très forte capacité de médiation de manière à développer un style managérial plus approprié à sa personnalité : le management collaboratif (approche talent). Autre solution, mobiliser les talents de persuasion de Carine en lui délégant la responsabilité du pilotage des résultats.

Cas d’entreprise : Pour lutter contre l’échec professionnel et l’exclusion de certains agents dont plus aucun manager ne voulait encadrer du fait de comportements inappropriés, et parce qu’il n’était pas envisageable de s’en « séparer », une mairie d’Ile-de-France a décidé de mettre en place un programme de repositionnement basé sur l’exploration des sources de plaisir au travail des agents « déviants ». Traduits en capacités, cette mairie a affecté ces agents sur des emplois où ils pouvaient être valorisés. Résultat : 80 % des agents se sont réinvestis dans le travail alors qu’ils étaient en échec depuis des années.

Nouveau paradigme : Valoriser les points forts pour renforcer le plaisir au travail et l’engagement

Affecter les bonnes personnes aux bonnes places

Le management par les compétences s’appuie sur la notion de prévisibilité. Levier essentiel de la GPEC, cette démarche prenait tout son sens dans un monde stable tel que nous l’avons connu au XXe siècle. Elle devient inefficace dans un environnement en perpétuel changement.

Le management par le talent n’est pas fondé sur des processus formels et part de la personne. L’entreprise prend le temps d’explorer avec chaque salarié les activités qui lui procurent du plaisir et identifie ses aptitudes naturelles qu’il pourrait mobiliser en fonction de sa stratégie et de ses projets, à temps plein ou à temps partiel.

Le but est de s’affranchir partiellement de la standardisation et du cloisonnement (descriptions de poste) de manière à mettre « la bonne personne aux bonnes places« , afin de favoriser la complémentarité, libérer les initiatives et générer de la co-création de valeur.

Cas d’entreprise : Facebook, entreprise de 5 000 salariés, a créé un camp d’entraînement intitulé le « boot camp », en vue de permettre aux nouveaux développeurs qui intègrent l’entreprise de bénéficier d’une période de 6 semaines pour prendre le temps de trouver un poste qui correspond le mieux à sa motivation. Contrairement à la majorité des entreprises qui recrutent sur le principe de conformité (le candidat est sélectionné sur la base des compétences requises par un poste), Facebook recrute selon le principe d’opportunité (le candidat est en premier lieu sélectionné sur la base d’un état d’esprit en conformité avec les valeurs de l’entreprise – curiosité, créativité… – puis, après avoir découvert l’entreprise, associé à la sélection des missions sur lesquelles il se sent le plus efficace).

Nouveau paradigme : Partir de la personne afin d’affecter des missions qui valorisent les talents naturels

Le management des talents : un nouveau modèle adapté à la réalité du XXIe siècle

A propos de l’auteur :Francis Boyer, spécialiste en innovation managériale, est consultant, formateur, coach, conférencier et rédacteur de nombreux articles. Son expérience opérationnelle de 20 années à des fonctions de management en ressources humaines au sein d’entreprises variées lui a permis de vivre et de piloter de nombreuses transformations dans des environnements complexes. Fondateur de Dynesens, il accompagne les entreprises dans l’exploration et l’adoption de nouveaux principes de management.
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